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23/11/2014

On the 11th hour of the 11th day

La semaine dernière, c'était le 11 novembre. Pour les Français, ce jour de commémoration est férié. Même si les radios-trottoires effectuées auprès des plus jeunes montrent qu'ils ne savent pas très bien ce qu'on fête ce jour-là, la vérité est qu'on fête l'Armistice qui mit fin à la 1ère Guerre Mondiale. 
En Grande-Bretagne, le 11 novembre n'est pas férié, pas plus que le 8 mai. Toutefois, d'une manière plus générale, le 11 novembre, ça s'appelle Remembrance Day, le Jour du Souvenir, et ça englobe tous les conflits qui ont eu lieu depuis 1914.

L'Armistice a été signée le 11 novembre 1918, avec prise d'effet "à la 11ème heure du 11ème jour du 11ème mois".
Un an plus tard, en 1919, à 11h, les témoins racontent que tout le monde s'est figé en Grande-Bretagne, pour se rappeler de ceux qui n'étaient plus là pour profiter de la paix retrouvée.
Depuis, cette journée est devenue la Journée du Souvenir. Les disparus des guerres suivantes sont commémorés ce même jour (ou plus précisément, le dimanche le plus proche du 11 novembre).

Cette année, la Journée du Souvenir a été d'autant plus marquée que la 1ère Guerre Mondiale a débuté il y a 100 ans. Des coquelicots, symboles de cette guerre, ont fleuri aux boutonnières dès la mi-octobre.

Poppies




Vous avez sans doute vu à la télé l'impressionnante marée de coquelicots dégoulinant de la Tour de Londres. Ces 888 246 fleurs en céramiques représentent chacune un soldat britannique tombé lors de la 1ère Guerre Mondiale.
Ces coquelicots ont une histoire. La première étincelle vient d'un poème écrit par John McRae, un soldat canadien, à l'occasion de la mort au champ d'honneur d'un de ses amis. Il aurait écrit ce poème juste après la mise en terre, en décrivant ce qu'il voyait: des coquelicots à perte de vue entre les rangées de tombes. Ce poème, intitulé "In Flanders Fields" (Dans les champs des Flandres) a très vite connu un très grand succès. C'est le poème de guerre le plus populaire dans les pays anglophones. Il a été traduit en Français par un poète québécois sous le titre "Au champs d'honneur".


Au champ d'honneur, les coquelicots
Sont parsemés de lot en lot
Auprès des croix; et dans l'espace
Les alouettes devenues lasses
Mêlent leurs chants au sifflement
Des obusiers.

Nous sommes morts
Nous qui songions la veille encor'
À nos parents, à nos amis,
C'est nous qui reposons ici
Au champ d'honneur.

À vous jeunes désabusés
À vous de porter l'oriflamme
Et de garder au fond de l'âme
Le goût de vivre en liberté.
Acceptez le défi, sinon
Les coquelicots se faneront
Au champ d'honneur.


En 1918, inspirée par ce poème, Moina Michael en Amérique a décidé de porter un coquelicot en soie à sa boutonnière en souvenir des disparus. A son tour inspirée par Moina, c'est une Française, Mme Guérin, qui a eu l'idée de fabriquer cette petite fleur en papier. En 1921, elle envoya des vendeurs à Londres. Le Field Marshall Douglas Haig, fondateur de la Royal British Legion, l'adopta aussitôt. Le succès ne s'est jamais démenti.

Field Marshall Douglas Haig, considéré comme l'inventeur du Coquelicot du Souvenir

En France, c'est le bleuet qui est l'équivalent du coquelicot. Personnellement, je n'en ai jamais vu. Mais le bleuet n'a sans doute jamais bénéficié du même élan d'intérêt que le coquelicot.




En effet, le coquelicot, même s'il est présent surtout début novembre, apparait toute l'année, aux boutonnières, sur les voitures, et au pied des monuments aux morts fleuris par des associations, des vétérans et leurs familles.

Monument pour les Pompiers de Londres (Sept 2014)
Les associations de soutien aux anciens combattants sont très actives, et on voit à longueur d'année des symboles ou messages de soutien pour les combattants disparus.

Le coquelicot format voiture, à porter toute l'année
"Soutenez nos héros" - pour ne pas oublier ceux qui se battent en ce moment
La journée du souvenir en Grande-Bretagne n'est donc pas réservée aux guerres anciennes. Le fait de n'avoir gardé qu'une seule journée au lieu de séparer 1ère et 2nde Guerre Mondiale permet de faire de cette commémoration un journée de sensibilisation aux conflits passés et présents, aux soldats disparus d'hier et d'aujourd'hui mais aussi aux blessés, aux vétérans sans abris (il existe des associations spécifiques pour ces "héros dans la rue"), et aux soldats qui se battent en ce moment même.

Campagne Royal British Legion 2013

11 novembre


Ce 11 novembre a été particulier en raison du centenaire du début du conflit. L'installation de la Tour de Londres en est un exemple frappant. Chaque fleur pouvait être achetée par quelqu'un. Ces milliers de coquelicots ont attiré la foule, à tel point qu'il a été envisagé de conserver les coquelicots au-delà de la date prévue pour profiter de l'attraction touristique ainsi générée.
Mais dès le 12 novembre, les fleurs en céramique ont été retirées et envoyées à leurs nouveaux propriétaires.

Kate, William et Harry au milieu du "Blood Swept Lands and Seas of Red"
(Andrew Parsons/i-images/Polaris)

Ce qui n'a pas changé, ce sont les deux minutes de silence observées à 11h pile le 11 novembre. C'était par contre nouveau pour moi. Heureusement, nous avions reçu un email le jour même pour nous prévenir que nous observions cette habitude au bureau.


Bonjour tout le monde, 
Juste pour vous rappeler que comme d'habitude nous observerons les deux minutes de silence en l'honneur de l'Armistice et de toutes les personnes impliquées dans toutes nos guerres. 
Cette année a d'autant plus importance qu'il s'agit des 100 ans du début de la 1ère Guerre Mondiale.
Merci de votre soutien.





A 11h, tout le bureau s'est tu. Un client qui appelait à ce moment-là s'est entendu répondre "Je vous mets en attente, nous commençons nos deux minutes de silence". Un commercial dans le bureau d'à côté était en grande conversation, mais a fini par se rendre compte que quelque chose clochait. Il a bafouillé une excuse à son correspondant et a raccroché. A part ça, quelques bruits de clavier. On est tous restés assis - je m'attendais un peu à ce qu'on se lève, histoire de marquer le début et la fin du temps, mais non. A deux minutes, le bruit a repris. Les téléphones se sont aussi remis à sonner - comme quoi on n'était pas les seuls à avoir observé ces deux minutes de silence.
Les écoles, la majorité des entreprises, bien sûr les personnes présentes aux cérémonies officielles en Grande-Bretagne et tout les pays du Commonwealth se sont toutes figées à 11h ce jour-là, comme tous les ans depuis le 11 novembre 1919.

Personnellement, j'ai trouvé ces deux minutes beaucoup plus émouvantes et marquantes qu'un jour férié lors duquel on ne prend pas forcément le temps de se rappeler ce qu'on commémore. C'était vraiment très inhabituel pour la Française que je suis.

Les débats


J'ai aussi appris qu'il y avait quelques débats autour de ce symbole.
Certains trouvent que, particulièrement dans les médias, c'est à celui qui le dégainera le premier pour prouver son attachement aux traditions, son patriotisme ou son soutien aux troupes.

D'autre part, des célébrités se sont fait épingler pour avoir porté des version "de luxe" du coquelicot. Un bijoutier a en effet créé des modèles plus originaux et travaillés, piquetés de cristaux ou de perles, et vendus 60£, mais dont seulement 15% du prix de vente revient aux associations d'ancien combattants.
Quel est alors le sens de ce geste? Faut-il porter le coquelicot comme preuve de l'argent versé à l'association, ou bien pour se joindre au mouvement collectif de mémoire?

Broches créées par Kleshna

Enfin, le fait de célébrer les soldats d'hier avec ceux d'aujourd'hui fait dire à certains que porter le coquelicot est synonyme de militarisme. En appelant tous les soldats morts "héros", ne fait-on pas l'apologie de la guerre en général? C'est pourquoi certains préfèrent porter le coquelicot blanc, "pour promouvoir une culture de paix" ou "pour se souvenir des victimes".









Mais dans toute la variété des raisons pour laquelle les Britanniques portent - ou pas - le coquelicot au mois de novembre, il y a au moins la preuve que c'est un événement qui touche les gens et qui fait réfléchir.
En France, le 11 novembre est, depuis 2012, un jour de commémoration de tous les morts pour la France. Est-ce qu'on va aussi se diriger doucement vers une situation similaire à celle de la Grande Bretagne? Ou est-ce qu'il y aura de moins en moins de monde au défilé de novembre et de mai?

Il n'est pas facile de copier-coller des sentiments nationaux d'une culture à l'autre. En 2014, le Bleuet de France a repris des couleurs pour les 80 ans de l'association éponyme. Il est désormais fabriqué en France et ne cache pas sa référence à son cousin britannique. Peut-on espérer qu'il devienne un symbole aussi populaire qu'Outre-Manche? Ou bien est-il trop tard, près de 100 ans après, pour réveiller la ferveur des Français, qui ne sont pas très à l'aise avec l'idée même de patriotisme?



Les Français ne sont peut-être pas très bons en commémoration, mais ils ont sans doute trouvé leur propre façon de "ne pas oublier".



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